ÉRIC FAYE : Qu'est-ce qui vous a décidé à créer ce qu'on peut appeler l'« univers Kadaré », ce faisceau de situations, d‘archcétypes, de personnages communs, dans des romans qui s‘interpénètrent l'un l'autre ?
ISMAÏL KADARÉ : L'intention n'est pas venue spécialement de moi ; tout cela s‘est formé de manière naturelle. Il s'agit d'un monde particulier de routes, auberges, parfois réelles, parfois imaginaires. Pareille création est liée à la littérature mondiale. Faulkner, par exemple, a créé un pays imaginaire. Citons aussi l'exemple tout à fait évident de Balzac, qui a enfanté une société entière. Ce que j'ai créé est pourtant différent. Balzac imitait la littérature grecque antique et ce qu'il a fait n‘est pas original. Les écrivains antiques ont été les premiers a créer un univers, une famille commune. A leur époque, tout le monde travaillait à partir du même matériau. Ainsi un même héros pouvait-il se retrouver tant chez Sophocle que chez Eschyle, ou Euripide, Homère. J'ai créé pour ma part quelque chose qui n’est pas du tout balzacien. Il ne s’agit pas d'un espace particulier mais d'un espace très large. Il n'y a pas d'unité de temps ; c'est très vertical, il s’agit de la profondeur des siècles. J'ai bâti une sorte d‘empire très profond — plus de deux mille ans dans le temps — et très vaste. ll débute avec les pyramides d‘Égypte et remonte jusqu'à Pékin, Moscou, phénomène que l'on retrouve d‘ailleurs dans l‘ancienne prose balkanique ; j‘ai utilisé souvent un « empire » plus vaste encore que l'empire ottoman. Plus vaste car je fais allusion à la Chine, à la Russie, l'Europe centrale, l‘Afrique du nord...
ÉRIC FAYE : Les songes cités dans *Le palais des rêves* sont-ils ceux que vous avez faits ?
ISMAÏL KADARÉ : La plupart sont inventés.
ÉRIC FAYE : Vous avez dit que pour ce roman vous vouliez construire un enfer...
ISMAÏL KADARÉ : L‘enfer est le commencement des lois, de la légitimité, je ne sais pas comment dans les manuels de droit débute l'étude historique de la jurisprudence, mais je crois qu'elle devrait débuter par l'enfer en général. L'enfer est le premier code pénal de l‘humanité... Le concept de droit commence par l'enfer !
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