Leçons des crises
Deux révolutions industrielles au XIXe siècle, celles de l’information et de la mondialisation au tournant du XXIe ; la succession des crises économiques dues aux spéculations sur le crédit, (1929), sur l’immobilier (Japon, années 1990), le numérique (années 2000-2002), les subprimes (2008) ... nul doute, l’économie nous gouverne. Mais qu’en est-il de la science économique, théorisée par Karl Popper, et de son autorité dans l’ordre de l’analyse, de la prévision et de la décision? A l’origine, l’économie se voulait « politique », sans s’arroger le titre de science. Empreinte de l’esprit des Lumières, elle se fondait sur le principe de la libre circulation des biens et des marchandises, qu’autorisait la spécialisation des tâches (Adam Smith), en un harmonieux système d’échanges autorégulé, dynamique, appliquant au commerce et à la production le cadre intellectuel défini, un siècle plus tôt, pour l’étude de la nature, par Harvey, circulation du sang, développement de l’embryon, puis par la mécanique céleste de Newton, plus tard par les expériences sur le magnétisme et l’électricité. Au nom de ce principe naturel des échanges réciproques, l’économie politique dénonçait, avant tout, les déformations artificielles, autoritairement imposées par le colbertisme, ainsi que les avantages indus concédés aux grands monopoles (Compagnie des Indes). L’économie ressortissait ainsi à la philosophie politique et au savoir encyclopédique. Tout change avec la première révolution industrielle, fondée sur l’innovation technologique (Watt et Boulton, Arkwright) et sur sa commercialisation soumise à la compétitivité des entreprises et à la puissance des Etats. A partir de 1830, les crises récurrentes et les traumatismes sociaux qu’elles engendrent semblent rendre nécessaire une science de la prévision voire de la « transformation » (Marx) des mécanismes économiques modelant la société. D’où le développement, depuis les travaux de Clément Juglar, théoricien des cycles économiques (1862 et 1869), d’une analyse théorique, de contenu statistique et historique, mais faisant appel, également, dans son cas, à la psychologie des masses. La Grande Dépression de 1929-34 est l’âge d’or de la théorie économique : l’analyse des crises en est le noyau, Keynes, Hayek, Schumpeter, les noms emblématiques. Dès lors, apparaissent les modèles macroéconomiques de cycles, les analyses quantifiables de l’économétrie. Le 1er choc pétrolier de 1973, qui scelle la fin des Trente Glorieuses, et la remise en question de Keynes et de l’Etat-providence au nom du monétarisme de l’idéologie libérale (Milton Friedman et la Nouvelle école classique) accentuent, en fait, le besoin de modélisation (modèle d’équilibre général stochastique) et de quantification reposant sur des concepts, théorie des marchés efficients, de la valeur fondamentale, qui présupposent, en microéconomie aussi bien, désormais discipline reine, des acteurs économiques abstraits, entièrement rationnels, et le pur calcul de l’intérêt sur la base d’une information intégrale et instantanée. L’un des intérêts majeurs des nombreuses contributions au livre est de nuancer la tentation de la rationalité radicale de la science économique, telle qu’elle est représentée par de grandes figures comme Arrow, Debreu, Maurice Allais, sans toutefois dévaluer cette exigence de rationalité mais en laissant apparaître l’infinie complexité d’un champ économique soumis à de multiples paramètres, qualitatifs autant que quantitatifs. D’une part (chapitres 1 et 2) la science économique, tout en ayant recours aux instruments d’analyse de la mathématique statistique et surtout de la physique, relativise elle-même son objet en l’insérant dans un réseau diffus de conditions sociales et de subtiles aspirations psychologiques : John Rawls, capabilités d’Amartya Sen, « économie du bonheur », théorie des jeux, neuroéconomie ... D’autre part, les nombreux domaines d’application auxquels elle se confronte sont développés tout au long de la deuxième partie (chapitres 3 à 5) : créativité et innovation industrielle ; rôle du secteur bancaire et articulation de l’économie financière et de l’économie réelle ; principaux enjeux de société tels l’énergie, les conditions climatiques, la croissance durable, l’équité de répartition des ressources ; l’opacité des concepts économiques pour le public dont l’inculture économique engendre des comportements aléatoires ou moutonniers ; l’articulation , enfin, de l’économique et du politique et l’exigence, peut-être utopique, d’une régulation mondiale de l’économie, improbable retour aux sources de l’Economie politique classique.
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