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J'arrive presque au bout de mes lectures en service de presse, mais je n'ai pas gardé que de mauvaises expériences pour la fin. Ma dernière lecture n'est pas un roman mais un essai sur la psychanalyse et l'inconscient, écrit par le psychanalyste et professeur de psychopathologie Jacques André.
J'avais lu le résumé avant de solliciter ce livre auprès de l'éditeur sur NetGalley.fr et je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre.
À l'heure du « développement personnel », du « bonheur en vingt leçons » et du devoir de « positiver », la force de la psychanalyse est de ne pas sous-estimer la violence de la vie psychique. Derrière la façade des vies « comme il faut », la folie privée est la chose du monde la mieux partagée.
Ce livre, à travers des instantanés de séances, cherche à faire entendre la parole souvent dérangeante, et en dépit du bon sens, de l'inconscient. Le bouleversement des anciennes rigidités familiales, les nouvelles libertés du choix sexuel ont le « mérite » de révéler mieux que jamais l'âpreté de la relation homme-femme, l'expérience à la fois éprouvante et passionnante de leur altérité.
Les « vérités » de la psychanalyse ne sont pas toujours bonnes à entendre – l'inconscient ignore le « politiquement correct » –, mais au moins elles ne font pas l'impasse sur la complexité des vies intérieures.
Positiver ! Vu de la psychanalyse, ce mot d'ordre a tout d'une formation réactionnelle ! « Le bonheur en 20 leçons » qui envahit le livre et les ondes est la face visible d'une médaille dont le revers est le désordre des vies individuelles et collectives. Cachez cette angoisse, cette haine, cette folie que je ne saurais voir. L'honneur de la psychanalyse est de ne pas s'en détourner, ce qui ne signifie évidemment pas en triompher.
Libre de se soumettre ... c'est presque un slogan politique. Plus d'un dictateur, aujourd'hui comme par le passé, doit à un vote démocratique la disposition de ses pleins pouvoirs. La « servitude volontaire » est aussi un fantasme de masse.
Le crime a beau n'être qu'un crime de pensée, le fardeau du coupable n'en est pas moins accablant. Au point, parfois, de commettre un délit afin d'échanger le crime psychique, impossible à payer, contre un crime réel pour lequel la justice exige des comptes. [...] Remplacer une torture intérieure, impossible à fuir, par la soumission à un châtiment extérieur.
La pensée de la mort, sinon la mort elle-même qui est un possible que jamais la vie ne réalise, est bien la blessure narcissique par excellence. La conviction d'une vie éternelle, qui évite le face-à-face avec l'inéluctable, est le prolongement délirant du fantasme de Narcisse.
Comment rendre à la mort anonyme d'aujourd'hui son humanité, comment échapper à l'indifférence, comment défendre la culture contre la destruction, comment rendre à la qualité, celle de la symbolisation, la mort devenue quantité ? L'un des gestes collectifs les plus vivants, les plus émouvants, après le Bataclan, a été de passer d'un chiffre, 130, à une collection de portraits, texte et photo, restituant à chacun des disparus l'absolue singularité d'une vie. Ce que les journalistes du Monde ont réalisé alors, ils l'ont refait pour les tués de Nice. Contre la Mort, les morts. Contre l'anonymat, restituer un visage et une histoire.