“Technologies partout, démocratie nulle part” est un livre co-écrit par Yaël Benayoun et Irénée Régnauld, les fondateurs du Mouton numérique, une association qui “met en lumière les enjeux sociaux, politiques et environnementaux du numérique et des nouvelles technologies”, telle qu'elle est présentée en quatrième de couverture. Ce sont ces enjeux qui sont l'objet de ce livre.
Les deux auteurs partent d'un constat : la technologie et le numérique ont envahi nos vies, mais cela n'a donné lieu et ne donne lieu à aucun débat véritablement démocratique pour valider collectivement les choix qui sont faits. Le livre analyse les ressorts de cette numérisation à marche forcée.
Le propos des deux auteurs s'articule autour de 7 chapitres pour autant de thématiques :
L'irréristible idélogie du progrès
L'âge des technoluttes
L'insuffisance réponse éthique
La démocratie à l'épreuve de la smart et de la safe-city
Le progrès technique à marche forcée dans l'entreprise
Reprendre en main notre avenir technologique
Cinq inspirations pour changer le progrès
Le propos du livre est limpide, sourcé, documenté, et illustré par des exemples choquants (quand ils montrent les dérives) ou inspirants (quand il s'agit de présenter des initiatives alternatives).
Malgré le ton résolument positif et la présence des deux derniers chapitres qui tentent de montrer que l'on peut encore changer les choses, y compris avec des exemples concrets, je n'ai pas pu m'empêcher de me sentir assez pessimiste à la fin de ma lecture, tant le mur à franchir me parait haut et épais.
Quoi qu'il en soit, ce livre constitue une excellente synthèse sur le sujet et un appel vibrant à la mobilisation individuelle et collective.
Engine City est le troisième et donc dernier tome de la trilogie de science-fiction Engines of Light de l'écrivain écossais Ken MacLeod. J'avais beaucoup aimé les premiers tomes Cosmonaut Keep et Dark Light qui étaient assez différents l'un de l'autre mais passionnants chacun dans leur style. J'ai donc abordé ce dernier tome avec une certaine impatience, mêlée à une petite appréhension car j'avais lu quelques critiques qui énonçaient une déception relative concernant la fin du récit.
Pour ma part, pour ôter dès maintenant tout suspense, je n'ai pas été déçu. J'ai même beaucoup aimé ce dernier tome et son final, qui peut surprendre mais qui à mon sens répond tout à fait aux promesses et aux amorces des deux premiers romans.
Le récit reprend dans la continuité de la conclusion du tome précédent, et nous retrouvons nos personnages préférés qui, chacun à leur façon, se préparent à l'arrivée d'une nouvelle race alien dans la Seconde Sphère et à la probable guerre d'invasion qui s'ensuivra. La narration est rythmée, alterne des scènes d'action bien menées et des réflexions captivantes. C'est un roman qui sait nous faire réfléchir sans en donner l'impression, c'est toujours agréable ainsi.
Ce que j'admire dans le travail réalisé par Ken MacLeod avec cette trilogie, c'est de nous avoir offert trois livres à la fois très différents et tournant autour du même thème : le voyage à la vitesse de la lumière et ses conséquences, que ce soit pour les voyageurs eux-mêmes et pour les planètes qu'ils visitent. Nous avons vu à la fois des humains évoluer et vieillir, des civilisations grandir, se rencontrer, et décliner. Je crois qu'il ne faut pas sous-estimer le tour de force réalisé par l'auteur.
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce dernier tome et cette trilogie en général. Ce fut un voyage terriblement enrichissant, parfois déroutant mais absolument passionnant du début à la fin. C'est assurément une très grande oeuvre de science-fiction, dans laquelle Ken MacLeod a su parfaitement exploiter un thème, en en présentant plusieurs facettes, sans oublier de le mettre en scène dans un récit captivant. Je crois que j'aurai plaisir à relire cette trilogie dans quelques années !
En attendant, je vais faire un court détour vers d'autres livres et d'autres genres, avant de revenir d'ici peu avec un gros morceau de la science-fiction : le cycle de la Culture, de Iain M. Banks.
Dark Light est le deuxième tome de la trilogie de science-fiction Engines of Light de l'écrivain écossais Ken MacLeod. J'avais beaucoup aimé le premier tome Cosmonaut Keep qui était riche en promesses pour la suite de la trilogie. J'ai donc enchainé directement avec le suivant, et je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps : je n'ai pas été déçu !
Par rapport au premier roman qui proposait une structure narrative avec deux lignes temporaires, l'une dans le futur proche et l'autre dans un futur et un espace très loin, celui-ci est plus simple : l'action se déroule dans le futur lointain, à des milliers d'années-lumières de notre système solaire, dans la continuité des événements du premier tome. Nous y retrouvons les personnages que nous avions suivi dans Cosmonaut Keep, cette fois réunis au même endroit, au même moment. Cela permet un récit relativement plus simple, maintenant que les bases ont été posées.
Ce récit s'attarde principalement sur les conséquences de l'arrivée de voyageurs interstellaires humains sur la planète Croatan, où des sociétés distinctes vivaient jusque là de façon relativement harmonieuse. Cette arrivée risque de bouleverser des équilibres précaires.
Avec ce roman, Ken MacLeod nous propose d'explorer la rencontre entre des sociétés différentes, avec leur histoire, leur mythologie, leur organisation sociale, leur rapport à la technologie, leur mode de vie. Il y a bien sûr le choc de culture entre les autochtones et les voyageurs venus de l'espace, mais aussi des différentes entre les différentes cultures qui cohabitent déjà sur la planète. Pour l'auteur, dont on connait la fibre politique, c'est l'occasion d'explorer des modèles de société différents.
Il y a notamment toute une réflexion au sein d'une des cultures présentées sur la distinction entre sexe biologique et genre social. Ainsi, nous rencontrons deux personnages qui illustrent cette approche : Stone est né(e) homme mais se reconnait et est socialement reconnu comme une femme car il refuse de se battre ; Gail est né(e) femme mais est socialement reconnu(e) comme homme car elle exerce la profession de mécanicien(ne) considérée comme exclusivement masculine. Bien sûr, cette approche n'est pas exempte de de stéréotypes et de défauts, que l'auteur ne manque d'ailleurs pas de mettre en scène dans le roman.
Par rapport au premier tome qui était principalement centré sur l'aspect technologique de la science-fiction, celui-ci m'a semblé plus politique. Certains personnages parmi les cosmonautes et leurs alliés autochtones illustrent parfaitement la tension entre d'une part le désir d'une démocratie directe avec des assemblées populaires autonomes (sur le modèle de communes en auto-gestion) et d'autre part la volonté d'instaurer un Etat central pseudo-démocratique, dont la principale mission serait de garantir le libre-échange et l'aboutissement serait l'instauration d'un modèle capitaliste étatiste industriel. Ken MacLeod rejoue ainsi, avec plus ou moins de subtilité même si cela ne m'a pas du tout dérangé, bien au contraire, le vieil antagonisme entre communistes et anarchistes, ou plus précisément entre communistes autoritaires et libertaires.
J'ai beaucoup parlé ici des aspects sociaux et politiques du roman, mais cela ne doit pas cacher le récit lui-même, qui tourne autour des inévitables transformations que l'arrivée du vaisseau interstellaire provoque sur la planète Croatan. Entre intrigues politiques, complots commerciaux, révoltes sociales, et tensions raciales, il y a de quoi s'occuper dans ce roman riche mais passionnant, d'autant que la galerie de personnages offre des personnalités originales et mémorables. Une mention spéciale pour Stone, mon personnage coup de coeur de ce roman.
Au moment de terminer ce deuxième tome, j'ai déjà très envie de me plonger dans le suivant, en espérant qu'il clôture en beauté cette trilogie qui a jusque là su me séduire et m'enchanter. On en reparle certainement très vite ici !
Cosmonaut Keep est le premier tome de la trilogie de science-fiction Engines of Light de Ken MacLeod, un écrivain écossais que j'avais découvert avec The Fall Revolution. J'avais beaucoup aimé ce cycle en quatre romans dans lesquels il mêlait habilement prospective technologique et politique. J'ai retrouvé avec grand plaisir cet aspect dans Cosmonaut Keep.
La structure narrative du roman, relativement originale, a contribué à l'enthousiasme qui a accompagné ma lecture.
D'une part, dans un futur proche où l'Europe a fusionné avec une URSS ressuscitée, Matt Cairns, un programmeur britannique, se retrouve mêlé à une sombre histoire d'espionnage scientifique au moment où une station orbitale russo-européenne annonce au monde entier un Premier Contact avec une race extraterrestre.
D'autre part, dans un futur lointain et dans un système solaire à des milliers d'années-lumières du nôtre, Gregor Cairns, lointain descendant de Matt Cairns, est étudiant-chercheur en biologie marine sur une planète où cohabitent des humains ayant débarqué quelques siècles plus tôt et des « saurs », des extraterrestres à la morphologie similaire à des dinosaures à taille humaine. Il partage son temps entre le laboratoire avec sa collègue Elizabeth, ses obligations familiales avec son grand-père James qui souhaite l'associer à son Grand Projet, et son idylle avec un marchand spatial en visite sur la planète.
Les deux lignes temporelles suivent d'abord leur cours en parallèle avant, comme souvent dans les romans construits ainsi, de se rejoindre d'une façon ou d'une autre. Dans les deux cas, l'intrigue tourne autour de la découverte ou de la re-découverte du voyage à la vitesse de la lumière. Dans notre futur proche, c'est un horizon qui semble inatteignable avant que le Premier Contact ne rabatte les cartes. Dans le futur lointain, seuls quelques marchands associés à d'étranges extra-terrestres ont accès au voyage interstellaire tandis que les différentes planètes habitées vivent isolées les unes des autres.
J'ai retrouvé dans ce roman des ingrédients qui m'avaient déjà beaucoup plu dans The Fall Revolution, même si le dosage est un peu différent. Là où la politique est très présente, c'est ici la technologie qui joue le premier rôle. Même si l'auteur, qui ne cache pas ses sympathies politiques, mentionne à plusieurs reprises différents courants communistes et notamment le trotskisme, cela reste en arrière-plan de la double intrigue autour du voyage à la vitesse de la lumière. C'est différent, mais tout aussi plaisant que The Fall Revolution.
J'ai en tout cas pris énormément de plaisir à lire ce roman, riche en promesses pour la suite. Je vais directement enchainer avec le deuxième roman de la trilogie : Dark Light. Je vous retrouve bientôt ici pour en reparler !
J'avais lu des critiques plutôt élogieuses sur ce premier roman signé Benoit d'Halluin, et je m'étais laissé tenter par la promesse du résumé : Alexis, un jeune français expatrié aux Etats-Unis, est renversé par une voiture sur un pont au nord de New-York et tombe dans le coma ; sa mère Catherine reçoit l'appel de Marc, un ami de son fils pour lui apprend la nouvelle, elle va traverser alors l'Atlantique pour rejoindre son fils, avec cet homme dont elle n'avais jamais entendu parler mais qui semble très bien connaitre son fils.
Le roman propose des courts chapitres qui alternent le récit au présent autour de Catherine et Marc après l'accident d'Alexis et des flash-backs qui racontent l'enfance, l'adolescence puis la vie de jeune adulte d'Alexis d'une part et de Marc d'autre part. Nous suivons ainsi leur rapport très différent à leurs familles respectives, la découverte de leur homosexualité, leurs premiers émois et leurs premiers amours, leurs failles et leur tragédies, puis leur rencontre et le début de leur histoire.
L'intrigue tourne également autour du mystère autour de l'accident d'Alexis, car il apparait dès le premier chapitre qu'Alexis reconnait le conducteur avant d'être percuté par le véhicule. L'auteur multiplie ensuite les fausses pistes pour nous amener à soupçonner successivement tel ou tel personnage. Cela a fini par me sembler un peu artificiel, surtout en constatant que tous les suspects possèdent le même modèle de voiture, celui impliqué dans l'accident. Je dois dire que le suspense autour de l'accident d'Alexis et de l'identité du coupable m'a laissé de marbre, soit parce qu'il était trop artificiel, soit parce que la résolution de ce mystère ne m'intéressait pas plus que cela.
Le reste du récit, autour des histoires respectives d'Alexis et de Marc jusqu'à leur rencontre, puis leur couple, est un peu plus intéressant quoique pas très original, mais surtout desservi par un style d'écriture trop plat à mon goût, et envahi de formulations qui m'ont semblé être des clichés déjà lus et relus. J'ai aussi été gêné par quelques passages où ont sent que l'auteur s'exprime à travers la voix de ses personnages, notamment quand il évoque sa perception du « mode de vie » gay, des rencontres d'un soir, des applications de rencontres, etc. Ce n'est pas inintéressant, ni forcément très éloigné de mes propres réflexions sur le sujet, mais j'ai trouvé que cela tombait un peu comme un cheveu sur le soupe et que cela manquait de naturel dans la façon d'intégrer cela dans le récit.
Globalement, ce roman n'est pas déplaisant à lire, je l'ai lu en deux jours sans avoir à me forcer, mais, pour parler crûment, cela ne vole pas très haut, sur le fond comme sur la forme. Je ne sais jamais si je dois juger un premier roman comme un roman comme les autres ou comme promesse d'autres à venir, pour laisser une chance aux primo-auteurs. Quoi qu'il en soit, qu'on le considère comme un thriller, comme une romance ou comme un récit de couple et de famille, celui-ci est pour moi une petite déception.
“Bâtir aussi” est un ouvrage atypique, un recueil de nouvelles produites par les Ateliers de l'Antémonde, un collectif qui s'auto-définit ainsi :Les ateliers de l'Antémonde sont constitués de personnes engagées dans des luttes anticapitalistes et féministes. Des ateliers de fabrication d'imaginaires enthousiastes et critiques du complexe techno-industriel. Les auteurEs, passionnéEs par la bidouille, recherchent des outils pour subvertir l'état des choses, développer des perspectives révolutionnaires et anti-autoritaires. Iels expérimentent la science-fiction à plusieurs mains pour s'extirper d'un présent verrouillé en puisant dans leurs pratiques de luttes et de vie collective. Ensemble, iels tentent de tirer les fils du présent afin de tendre une toile de futurs possibles, voire souhaitables.Ceux qui me connaissent un peu savent que c'est une démarche qui avait de grandes chances de me séduire et que l'enthousiasme serait mon premier sentiment en commençant ce livre.Les sept nouvelles qui composent ce recueil se déroulent de nos jours, mais dans une version du présent où dix ans plus tôt, une révolution a renversé le modèle capitaliste industriel, sous l'impulsion du Printemps arabe. Après une lutte à mort contre l'Etat et les nationalistes d'extrême-droite, la société s'est réorganisée en communes libres et auto-organisées.Les textes mettent donc en scène le quotidien d'un modèle de société inspiré des idées anarchistes, collectivistes, de l'anarcho-communisme, ou de l'écologie libertaire de Murray Bookchin, que le préface cite explicitement comme source d'inspiration. Cela a fait écho chez moi à l'une de mes lectures récentes, le très beau [b:Eutopia 62206566 Eutopia Camille Leboulanger https://i.gr-assets.com/images/S/compressed.photo.goodreads.com/books/1665090498l/62206566.SX50.jpg 98000693] de Camille Leboulanger.J'aime quand la fiction permet d'imaginer des alternatives, des futurs possibles et souhaitables. C'est le cas des nouvelles de ce recueil, et cela justifierait déjà sa lecture. Là où ce livre va encore plus loin, c'est autour de la notion d'utopie ambigüe. En effet, les auteurs et les autrices ne cachent pas les difficultés, les doutes, les débats qui agitent les communautés qu'ils et elles mettent en scène. C'est l'occasion de démontrer que ces futurs possibles sont et seront en perpétuel débat, sans masquer le poids des processus de prise de décision collective.En parlant des débats qui transparaissent dans le livre, j'ai trouvé qu'ils sont parfois mis en scène de façon un peu trop didactique, quand les personnages expliquent leurs arguments plus à destination du lecteur que pour eux-mêmes. C'est une facilité d'écriture peut-être inévitable dans une telle démarche, mais cela ne nuit pas tant que cela au plaisir de lecture.Je ne peux pas achever cette critique sans parler de la très jolie postface, à la fois éclairante sur le projet littéraire et politique des auteurs et autrices, et inspirant pour prendre le relais, comme ils et elles nous invitent à le faire. A qui le tour ?
“Sous la lune brisée” est le premier roman d'Anne-Claire Doly, mais si je ne l'avais pas su avant de le lire j'aurais pu croire qu'il s'agit de l'oeuvre d'une autrice déjà aguerrie et maintes fois publiée. Elle nous propose ici un roman de science-fiction qui même habilement propos éminemment politique et style très littéraire.
L'action se déroule dans notre futur, plus de deux siècles avec un cataclysme, non explicité dans le texte, qui a rendu invivable une grande partie du globe et a brisé la Lune en deux. Neuf cités-Etats se sont emmurées pour s'isoler des réfugiés qui tentent de s'y mettre à l'abri. En leur sein, la société est divisée en trois cercles : le premier cercle, composé des Gardiens, issus de familles aristocratiques qui gouvernent la cité ; le deuxième cercle, qui forme le Faisceau, l'armée dont le rôle principal est de neutraliser les migrants en dehors des murs ; le troisième cercle, les Laborieux qui n'ont comme privilège que celui d'être à peine mieux traités que les réfugiés clandestins. La sexualité et la natalité sont contrôlées et organisées lors de cérémonies où les partenaires pour quelques nuits consécutives sont tirés au sort, quand le hasard n'est pas influencé par quelques puissants fortunés. La loi qui interdit les relations avec les personnes d'un autre cercle.
Quand le récit commence, la colère gronde dans la cité. Le Faisceau semble sur le point de déclencher un coup d'état contre les Gardiens, tandis que des partisans du Troisième cercle prépare une révolution pour reprendre le pouvoir des mains de ceux qui les oppriment.
Dans ce cadre quasi-dystopique, l'autrice nous propose de suivre la destinée de trois personnages : Aulis, un Laborieux adolescent dont la mère, issue de l'union interdite d'une aristocrate et d'un Laborieux, se prostitue ; Hadrian, un militaire dont l'homosexualité et la conscience l'isolent de ses camarades de combat ; Ariane, aristocrate qui veut continuer à exercer son métier de médecine dans les bas quartiers.
Les ingrédients sont réunis pour un récit puissant et très politique. Le début est toutefois un peu lent, d'autant que le style littéraire et presque poétique d'Anne-Claire Doly peut surprendre voire dérouter le lecteur. Globalement, le rythme reste lent, même si cela s'accélère légèrement la fin. Je dirais que si le cadre proposé m'a tout de suite séduit, j'ai mis un peu de temps à entrer véritablement dans le récit, avant de me laisser emporter progressivement par la qualité de la plume, la puissance du récit et l'humanité des personnages.
C'est une lecture exigeante mais puissante, un grand roman de science-fiction qui parle de révolution, de migration, d'exil, d'eugénisme, d'amour, et d'humanité en général.
J'avais découvert Daniel Arsand il y a plusieurs années avec “Des amants” puis avec le très beau roman “Je suis en vie et tu ne m'entends pas”. J'avais été séduit par sa plume délicate au service de récits forts et passionnants. Je me suis donc laissé tenter par son dernier roman, d'autant que j'en avais lu une critique très élogieuse ici ou là.
Dans “Moi qui ai souri le premier”, l'auteur nous raconte trois épisodes de son adolescence, trois garçons qu'il a aimés ou désirés, trois événements qui ont accompagné l'éveil de sa sexualité et ont ensuite façonné son rapport aux hommes.
Je lisais dans une autre critique que ce roman est en quelque sorte le “marking-of” de la vie et de l'oeuvre littéraire de Daniel Arsand et je trouve très juste cette image. Cela m'a d'ailleurs fait penser au roman “Arrête avec tes mensonges” de Philippe Besson, qui raconte également un épisode de son adolescence et apparaissait comme une explication de ses oeuvres précédentes, ou à venir à l'époque du récit.
Vous l'aurez compris, le fond m'a beaucoup plu. Sur la forme, Daniel Arsand nous offre un roman très court, que j'ai lu d'une seule traite, son format et son rythme invitant à lire sans s'arrêter. La plume est toujours aussi délicate et efficace. Un beau roman.
“Miss Islande” est un très joli roman d'Auður Ava Ólafsdóttir, une écrivaine islandaise que je découvre à cette occasion.
Le récit se déroule en 1963 : Hekla, jeune femme qui rêve d'être écrivain, quitte son village natal pour s'installer à Reykjavík, où elle retrouve ses deux amis d'enfance : Ísey, jeune mère de famille depuis qu'elle est tombée enceinte d'un garçon de passage, et Jón John, premier amour d'Hekla mais qui préfère les hommes.
Pour le lecteur français que je suis, la première impression en commençant ce roman est le dépaysement, avec cette découverte de l'Islande que je connais très mal. Toutefois, cela laisse vite la place au propos principal du roman : la place de la femme dans la société islandaise des années 1960, mais aussi celle des homosexuels. Hekla, qui ne souhaite qu'écrire, est sans cesse ramenée à son physique avantageux dans les petits boulots qu'elle accepte pour subvenir à ses besoins. Ísey s'enfonce à regret dans la vie monotone d'une mère de famille. Jón John vit mal son homosexualité et les brimades qui l'accompagnent dans une société encore terriblement homophobe.
L'autrice nous montre ainsi les premières années de la vie d'adulte de ces trois personnages coincés sur les rails d'une société qui les prédestine à un avenir déjà écrit. Elle le fait dans un style délicat, poétique, qui se lit facilement mais avec un réel plaisir. Un très beau roman, assurément.
J'avais entendu parler à plusieurs reprises, toujours de façon positive, de ce livre de Daniel Kahneman. J'ai fini par me laisser tenter et je viens de le lire.
Dans ce long essai, l'auteur expose le fruit de ses longues années de recherche en psychologie, autour du thème de la prise de décision. Son propos s'articule autour de la distinction entre deux “systèmes”, deux modalités de décision dans notre cerveau :
Le Système 1 est intuitif, rapide, mais soumis à des biais, des stéréotypes, des approximations, influençable par les circonstances, et donc capable d'erreurs de jugement.
Le Système 2 est analytique, précis, mais plus lent et parfois “paresseux” quand il valide les intuitions du Système 1 sans procéder à une analyse plus détaillée.
L'auteur détaille évidemment les caractéristiques de ces deux systèmes, sur le mode de fonctionnement, les avantages et les inconvénients de chacun. Il approfondit ensuite en exposant longuement les différents biais et phénomènes auquel le Système 1 est soumis et qui peuvent l'amener à se tromper.
Le contenu est souvent très intéressant, avec de nombreuses expériences qui illustrent le propos, mais l'auteur a tendance à être un peu bavard et à se répéter, ce qui peut rendre la lecture un peu laborieuse et rébarbative. Il faut soit prendre son temps entre chaque chapitre, soit au contraire passer rapidement certains passages qui ne font que reformuler des concepts déjà exposés quelques pages auparavant. Le début, quand l'auteur présente les bases de sa réflexion autour des deux systèmes, est passionnant et limpide. La suite est un peu moins plaisante, alternant des passages passionnants et d'autres plus laborieux. C'est en tout cas l'expérience de lecture que j'ai eu ces derniers jours.
L'ensemble est tout de même très intéressant et éclairant sur un sujet captivant et souvent méconnu. J'espère en avoir retenu une part conséquente, cela peut toujours être utile !
Eutopia est un roman très ambitieux. Camille Leboulanger imagine en effet une utopie que je serais tenté de qualifier d'anarcho-communiste, avec une société basée sur le salaire à vie et sur l'abolition de la propriété.
Dans un futur plus ou moins proche, après un long siècle de crises multiples, la Déclaration d'Antonia a aboli la propriété et réorganisé la société.
Nous suivons la vie d'Umo, de son enfance jusqu'à sa vieillesse. C'est d'abord le récit d'une vie quotidienne presque banale, avec juste ce qu'il faut de décalage avec notre réalité pour que ce soit dépaysant et captivant. Les âges de la vie d'Umo nous permettent de découvrir l'organisation de la société antonienne, que ce soit pour l'éducation, le travail, le logement, la santé, les relations amoureuses, le rapport à l'environnement, etc.
A travers cette société utopique quoiqu'imparfaite, Camille Leboulanger nous propose de porter un regard sur notre propre société, un regard qui nous met face à nos contradictions et nos impasses. Il nous offre un dépaysement porteur d'espoir, en apportant la preuve par la fiction qu'un autre monde est possible, pour reprendre un slogan fameux.
Certains regretteront peut-être que ce roman soit trop politique, mais j'imagine que cette critique viendra surtout de ceux qui s'opposent aux idées que ce roman porte et qui n'auraient de toute façon pas été convaincus. Pour ma part, je suis de ceux qui considèrent que la science-fiction a pour vocation de nous interroger sur notre société et d'imaginer d'autres futurs possibles, loin du statu-quo et des discours affirmant qu'il n'y a pas d'alternative. Ce livre montre le contraire : des alternatives sont possibles, il suffit de les imaginer avant de les réaliser.
Je lis très peu de polars, il faut vraiment qu'un polar sorte de l'ordinaire pour dépasser le peu d'intérêt que je porte habituellement à ce genre. Les critiques semblaient dire que ce roman de Jurica Pavičić sortait de l'ordinaire, et je suis heureux de dire que c'est le cas.
Tout commence en septembre 1989, dans un petit village de la côte croate, dans ce qui est encore la Yougoslavie. Silva, une adolescente de dix-sept ans, se rend un samedi soir à une fête de pêcheurs. Le lendemain matin, sa chambre est vide, la jeune femme n'est pas rentrée. Après quelques heures, l'inquiétude grandit et sa famille doit se rendre à l'évidence : Silva a disparu. C'est le début d'une longue épreuve pour ses parents et pour Mate, son frère jumeau.
Les premiers chapitres nous racontant cette disparition et l'enquête menée pour tenter de retrouver Silva, en vain. Les années passent, et le récit devient celui des individus marqués par la disparition de la jeune femme mais aussi d'une Yougoslavie en pleine guerre civile, puis en reconstruction, avant que le tourisme de masse ne vienne envahir la côte croate.
L'intrigue policière elle-même est intéressante et bien menée, elle donne clairement envie de tourner les pages et de découvrir la conclusion, mais je crois que l'essentiel n'est pas là dans ce livre. Comme souvent dans les polars, c'est aussi un roman sur l'humain et la société, mais c'est aussi ici un roman sur l'Histoire yougoslave et croate, sur les transformations vécues par un territoire et un pays. De la Yougoslavie communiste à la Croatie touristique, nous assistons, à travers l'histoire de Silva et ses proches, à deux décennies d'Histoire. Un tour de force, pour un roman magistral.
Anthony Passeron signe un premier roman très réussi qui touche au splendide. Il aborde l'apparition du VIH et du SIDA dans les années 1980 sous un angle un peu différent de ce que j'avais eu l'occasion de lire jusque là, en décentrant un peu le point de vue.
En effet, le roman alterne habilement deux récits parallèles. Il relate d'une part l'apparition du VIH et du SIDA dans une famille de la petite bourgeoisie provinciale, près de Nice. Il s'agit de la famille de l'auteur, dans laquelle on ne parle plus de cet oncle victime du virus meurtrier dans les années 80. D'autre part, il retrace la lutte contre la maladie dans le milieu hospitalier et de la recherche médicale, en France et aux Etats-Unis.
Le regard que porte l'auteur sur ces deux récits est profondément humain. Ce n'est pas une surprise quand il aborde sa propre famille, mais on retrouve cette approche humaine quand il nous parle des médecins et des chercheurs engagés dans la lutte contre la maladie, sans oublier les malades anonymes.
Du côté du corps médical, on ressent parfaitement la sidération des débuts, l'engagement et l'empathie de certains, l'indifférence voire le mépris d'autres, la peur et la panique face à des malades trop souvent traités comme des pestiférés.
Dans la famille de l'auteur et dans le petit monde qui l'entoure, il y a la gêne, la honte, la peur. D'abord la peur du qu'en-dira-t-on, dans ce village où tout se sait et où la famille avait construit une réputation de petits commerçants irréprochables. Ensuite, la peur face à la mort du fils que l'on aime “malgré tout”, malgré la drogue et la maladie.
C'est un très beau roman de lutte et d'amour, un bel hommage aux médecins, aux chercheurs, aux malades, aux victimes, et à leurs familles. C'est aussi un appel à la parole, contre la honte et le silence qui entourent encore trop de familles endeuillées.
François Jarrige, historien des techniques et de l'industrialisation, propose dans ce livre une histoire des critiques et des résistances aux techniques et à la technologie.
Après un rapide rappel des premières contestations avant l'ère industrielle, l'auteur découpe son essai en trois grandes périodes : l'invention de l'industrialisme au XIXe siècle ; l'âge des machines dans l'entre-deux-guerres ; modernisations et catastrophes depuis le Seconde Guerre Mondiale. Au sein de chacune de ces grandes périodes, des chapitres à la fois chronologiques et thématiques dressent un panorama richement documenté des critiques et des résistances au “progrès” technique, sous diverses formes : bris de machines, actions syndicales, réflexions d'intellectuels, oeuvres culturelles, etc.
Le texte est très dense mais passionnant du début à la fin. On suit aisément le propos de l'auteur, qu'il illustre avec de nombreux exemples et des citations remises dans leur contexte. Un gros et vrai travail d'historien, autant que je puisse en juger.
Le livre amène en tout cas à réfléchir à notre rapport à la technologie et à ce progrès présenté souvent comme inéluctable alors qu'il n'est le fruit que d'un modèle capitaliste industriel dominant et du renoncement à d'autres alternatives. Au moment d'affronter une crise écologique qui remet en cause notre mode de vie et notre survie, ce livre m'apparait comme un outil qui nous invite à imaginer une autre approche de la technique et à travers elle d'autres modèles de société.
Frédéric Paulin signe un roman très fort sur les affrontements entre les forces de l'ordre italiennes et les militants anticapitalistes et altermondialistes lors du sommet du G8 en juillet 2001. Un jeune étudiant et militant italien avait alors été tué d'une balle dans la tête par un gendarme italien.
Nous suivons plusieurs personnages, qu'ils soient militants, policiers ou politiciens. Certains sont sympathiques, d'autres beaucoup moins, et certains révèlent une ambiguïté qu'on ne devinait pas forcément au début. Le récit est haletant mais lourd, car on sent la tragédie qui arrive inéluctablement, et avec elle la fin des espoirs, des rêves d'un autre monde possible.
J'ai beaucoup aimé ce roman, même s'il est terriblement décourageant quand on partage les combats politiques des militants qu'il met en scène. C'est le roman de l'échec d'une résistance, vaincue par la puissance d'Etat.
Un livre intéressant où l'auteur plaide contre la logique industrielle qui nous éloigne de la subsistance par nos propres moyens au profit (c'est le cas de le dire) d'emplois salariés contre lesquels le capital nous accorde un revenu nous permettant de consommer nos moyens de subsistance. Il défend au contraire un objectif de ré-appropriation individuelle et collective des “arts et métiers” face à ce modèle capitaliste industriel.
Le premier chapitre, principalement historique, m'a beaucoup intéressé, les trois suivants m'ont ensuite semblé un peu trop théoriques et philosophiques, avant un cinquième et dernier chapitre plus concret sur sa propre expérience de vie qui m'a beaucoup plu. Je ne partage pas forcément toutes les opinions exprimées par Bertrand Louart dans ce livre, mais il a le mérite d'ouvrir de réels débats sur notre rapport au modèle industriel qui nous cajole et nous opprime au quotidien.
Voici un livre qui avait tout pour me plaire : analyser et dénoncer l'omniprésence du développement personnel dans nos vies et dans les entreprises. Au-delà de la dénonciation, légitime à mes yeux, l'intérêt du livre est surtout dans l'analyse, l'explication de ce phénomène et de ce qu'il dit du modèle de société néolibéral.
Le sujet est intéressant et globalement bien traité, mais j'ai trouvé que l'auteur se perdait un peu dans ses explications. C'est d'autant plus étonnant que le texte est court, mais j'ai trouvé la structure difficile à suivre. le fond est intéressant et richement documenté, mais la forme m'a laissé sur ma faim.
J'avais autant d'espoir que de crainte en commençant ce quatrième et dernier tome du cycle Fall Revolution de Ken MacLeod. Après un premier tome à l'univers prometteur mais au récit un peu décevant, puis deux excellents volumes, je pouvais espérer le meilleur comme le pire pour conclure le cycle. Heureusement, c'est le meilleur qui est au rendez-vous.
Le récit est d'abord déroutant : il se déroule plusieurs siècles après les événements des tomes précédents, mais sur une Terre très différente, où la technologie a regressé et où la conquête spatiale ne fait que recommencer après des siècles de stagnation. Cette situation est due à des événements ayant eu lieu quelques années après la Fall Revolution, dans une version alternative de l'histoire que nous avons suivi depuis deux tomes. Ce n'est pas toujours simple à suivre, d'autant que l'univers imaginé par Ken MacLeod était déjà riche avec d'ajouter cette complication, mais le récit est captivant du début à la fin et j'ai beaucoup aimé les personnages que nous suivons dans le futur. Le récit parallèle des mésaventures de Myra Godwin dans le passé, s'il n'est pas toujous facile à suivre, est indispensable pour comprendre où l'auteur veut nous amener.
Ce quatrième tome offre en tout cas une conclusion magistrale, à la fois épique et poétique, à un cycle qui a su me séduire après un premier volume un peu lent. Ken MacLeod a écrit ici une des plus grandes sagas de science-fiction que j'ai eu l'occasion de lire.
Ce troisième tome du cycle Fall Revolution de Ken MacLeod m'a beaucoup plu, comme le précédent. Après un premier tome un peu compliqué à lire, l'auteur semble avoir trouvé un rythme de croisière avec deux tomes de très bonne facture.
Le récit reprend presque immédiatement après la fin du deuxième tome, avec les “retrouvailles” entre des habitants de New Mars avec le système solaire, ses citoyens et sa société anarcho-communiste. Cette fois, Jonathan Wilde n'est qu'un personnage secondaire, presque périphérique, et nous suivons l'action principalement à travers d'Ellen May Ngwethu, membre de la Division Cassini, une organisation chargée de protéger l'humanité contre les IA qui ont colonisé Jupiter.
Ken MacLeod nous propose un excellent récit de science-fiction autour de la question de l'essence de l'humanité, de la frontière entre humain et machine, et des moyens que peut et/ou doit utiliser l'humanité pour sa survie. Je ne sais pas si j'ai été totalement surpris par l'intrigue elle-même, mais c'est très bien exécuté et passionnant à lire du début à la fin. J'ai notamment beaucoup aimé les impressions respectives des anarcho-communistes du système solaire et des anarcho-capitalistes de New Mars sur le fonctionnement de leurs sociétés respectives : choc de cultures garanti !
Ce troisième tome confirme mes impressions lors de la lecture du deuxième : ce cycle propose de la très grande science-fiction, inventive et intelligente. Je vais enchainer directement avec le quatrième et dernier volume du cycle, en espérant qu'il apporte une conclusion digne des deux tomes que je viens de lire avec grand plaisir.
[b:The Star Fraction 185822 The Star Fraction Ken MacLeod https://i.gr-assets.com/images/S/compressed.photo.goodreads.com/books/1388895861l/185822.SY75.jpg 1000451], le premier tome du cycle “Fall Revolution”, m'avait séduit par son univers et notamment son approche de modèles politiques et sociaux alternatifs. Par contre, le récit ne m'avait pas totalement emballé, j'avais eu l'impression de lire un récit qui n'était pas totalement à la hauteur du décor dans lequel il se déroulait. Avec ce deuxième volume, Ken MacLeod a totalement résolu cette difficulté.L'auteur étend son univers et les problématiques qu'il aborder, ici l'intelligence artificielle, le clonage et la vie après la mort. Il le fait à travers une intrigue captivante du début à la fin et des personnages que l'on prend plaisir à suivre. J'ai particulièrement aimé l'alternance entre des chapitres se déroulant dans un futur lointain et ceux qui sont des flashbacks se déroulant, pour nous lecteurs contemporains, dans le passé ou un futur relativement proche, entre les années 1970 et le courant du XXIe siècle.J'ai beaucoup aimé ce roman, qui accomplit le potentiel que je devinais dans le premier tome malgré ses défauts. Ken MacLeod propose ici de la grande science-fiction, inventive et intelligente.
J'avais entendu parler de ce roman, et du cycle auquel il appartient, en me renseignant sur des œuvres de science-fiction où des modèles politiques alternatifs sont explorés.
C'est bien le cas ici avec Ken MacLeod qui imagine un futur relativement proche où le Royaume-Uni a éclaté après une guerre européenne ; après une brève République, le Royaume a été restauré mais ne contrôle plus tout le territoire ; des enclaves plus ou moins indépendantes expérimentent des modèles de société alternatifs : écologistes, socialistes, féministes, religieux, etc.
Le cadre imaginé par l'auteur m'a beaucoup plu. Les trois personnages qu'il nous propose de suivre sont également intéressants, même si je n'ai pas forcément réussi à m'attacher à tous. Le récit lui-même est un peu lent à démarrer et je n'ai pas toujours été captivé, mais c'est peut-être dû à mon rythme de lecture très ralenti depuis deux semaines : je suis en vacances avec de longues journées de randonnée, je n'ai lu que quelques pages quotidiennes, ce qui ne facilite pas l'immersion dans le récit. Quoi qu'il en soit, la fin est réussie et donne clairement envie de lire la suite, ce que je vais m'empresser de faire.
Laurent Gaudé qui s'essaye au polar et plus encore à la science-fiction, cela me donnait très envie, et je dois tout de suite dire que je n'ai pas été déçu.
L'anticipation proposée par Laurent Gaudé sur s'appuie sur un point de départ simple : en faillite, la Grèce en tant qu'Etat n'est plus, le pays a été racheté par une société privée. Après des mois d'émeutes réprimées dans le sang, les athéniens ont été triés par leur nouveau propriétaire, les plus “socialement utiles” se sont vus proposer un contrat de travail, les autres ont été déportés dans des contrées éloignées.
Dès les premiers chapitres, j'ai trouvé des similitudes avec Les Furtifs d'Alain Damasio avec cette façon d'imaginer une ville du futur totalement privatisée, dont les habitants sont tous des citoyens-salariés d'un consortium privé et où certaines zones sont réservées à des privilégiés. Le style de Laurent Gaudé est toutefois différent de celui d'Alain Damasio, pas forcément plus littéraire mais moins dans la recherche de trouvailles linguistiques ; le rendu est peut-être moins “gadget”.
Le récit lui-même est porté par une enquête sur un meurtre, qui nous permet de découvrir la mégalopole et ses coulisses. Ce n'est à vrai dire pas forcément le plus important dans ce roman. On se laisse porter par l'enquête et sa résolution, mais pour moi ce fut surtout un prétexte pour visiter cette ville dystopique et réfléchir sur les chemins qui ont mené la société dans cet état si peu désirable, chemins qui ressemblent étrangement à ceux que nous empruntons depuis plusieurs décennies.
Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé ce nouveau roman de Laurent Gaudé, dans un genre auquel il ne nous avait pas habitué, mais qu'il aborde avec son talent d'écriture et sa capacité à nous immerger dans son univers.
C'est le premier roman de Stéphane Desienne que je lis et c'est une découverte sympathique.
Le cadre est assez original : il y a quatre siècles, le Vatican a subi une attaque thermonucléaire ; l'Eglise catholique s'est alors exilée sur une autre planète rebaptisée Nouveau-Vatican et s'est isolée du reste de l'humanité.
Quand le roman commence, une question se pose parmi certains acteurs du Nouveau-Vatican : l'heure est-elle venue pour l'Eglise catholique de repartir à la rencontre du reste de l'humanité ? C'est la question qui oppose le Pape en titre et son rival, à la tête de la redoutable Inquisition.
Dans ce cadre, l'auteur nous proposeun récit de science-fiction très divertissant, avec son lot d'intrigues politiques et de scènes d'action. Cela se lit très bien, le style est simple mais efficace, le récit est rythmé et réserve quelques surprises. Sans que cela révolutionne le genre, c'est globalement de la science-fiction très plaisante à lire.
Dans ce court roman, Joseph Andra nous propose de suivre les derniers mois du révolutionnaire Camille Desmoulins et à travers lui la lutte à mort, arbitrée par Robespierre et Saint-Just, entre les enragés d'Hébert et les indulgents de Danton entre fin 1793 et début 1794.
Le récit est rythmé par la parution des sept numéros du Vieux Cordelier (dont le dernier publié à titre posthume), le journal de Camille Desmoulins dans lequel il défend la liberté de la presse et une révolution clémente et juste qui sache s'attaquer sans excès à ses véritables ennemis.
L'auteur donne la parole à chaque “parti”, même si on sent que son cœur penche vers Camille Desmoulins, le “héros” tragique du roman. Le style de l'auteur est lyrique et plaisant à lire, j'ai pris plaisir à lire ce roman historique qui retrace une période complexe de la Révolution, sur laquelle il n'est pas aisé de se faire un avis définitif.
Avec ‘Les Rouges', Pascale Fautrier signe un long et magnifique roman où elle nous raconte sa famille sur près de deux siècles. L'autrice, et à travers elle sa narratrice Madeleine qui lui sert d'alter-ego, est issue d'une lignée de révolutionnaires, de socialistes utopiques, d'anarchistes, de marxistes, de communistes, de trotskistes, bref de rouges.
Avec ces générations qui se succèdent, nous suivons les combats pour l'égalité et la liberté au fil du temps : Révolution Française, Restauration, Monarchie de Juillet, banquets républicains, révolution de février 1848 et répression des luttes ouvrières en juin de la même année, Second Empire, Commune de Paris et son issue tragique et scandaleuse lors de la Semaine Sanglante, Troisième République, Première Guerre Mondiale, Front Populaire, Vichy et la Résistance, le long déclin des communistes avec ou à cause de l'aveuglement des militants et du silence coupable de leurs dirigeants sur les dérives du stalinisme, puis mai 1981 et enfin le Front de Gauche.
Quand on est passionné d'Histoire, et en particulier du XIXe siècle comme je le suis, on ne peut qu'être captivé par ce récit de tous ces événements vus et vécus par des hommes ordinaires, des militants de gauche qui croient en un idéal et luttent avec ferveur.
Au-delà du récit historique à hauteur d'hommes, le roman multiplie également les scènes de récit d'une génération à une autre. Dans une sorte de mise en abîme, l'autrice met en scène la transmission d'une mémoire collective, populaire et révolutionnaire, avec ses figures et ses valeurs, et le fait dans son propre roman qui contribue à cette transmission de “notre” histoire.
J'ai trouvé qu'il y avait un petit creux dans le dernier tiers du roman, avec les débats politico-philosophiques et les manoeuvres d'appareil au sein du PCF puis des groupuscules trotskistes. C'est peut-être aussi un signe des temps : l'espoir d'un monde meilleur s'est presque éteint et on se bat désormais pour des “places”, à l'exception de quelques militants qui y croient encore. Le récit devient alors plus cryptique, moins prenant, mais cela n'enlève rien à la qualité d'ensemble du livre.
Le roman constitue à la fois un vibrant hommage à celles et ceux qui ne demandaient qu'à exister et un magnifique témoin des combats d'hier, qui doivent inspirer et éclairer ceux d'aujourd'hui.